M. Anastassiadou-Dumont (Hg.): Médecins et ingénieurs ottomans

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Titel
Médecins et ingénieurs ottomans à l’âge des nationalismes.


Herausgeber
Anastassiadou-Dumont, Méropi
Erschienen
Istanbul 2003: Editions Maisonneuve et Larose
Anzahl Seiten
387 p.
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre-Yves Donzé

Cet ouvrage rassemble une quinzaine de contributions présentées par des chercheurs européens à un colloque tenu à Istanbul en 2002, dont le but était de faire le bilan sur le rôle des hommes de science (médecins et ingénieurs) dans la modernisation de l’Empire ottoman et dans l’affirmation des diverses nationalités qu’il regroupe. L’approche est essentiellement biographique et centrée sur les personnes des médecins. Elle aborde des scientifiques de tous horizons nationaux (Arméniens, Bulgares, Grecs, Turcs, etc.). Les hommes de science dont il est question ici ont le profil classique des élites modernisatrices de la seconde partie du 19e siècle, conscientes de leur mission sociale (lutte contre les pratiques médicales traditionnelles, réaménagement de l’espace urbain, etc.) et favorables au développement de l’instruction publique généralisée. De plus, ces scientifiques appartiennent souvent à des nationalités politiquement dominées. Leur engagement en faveur de la modernisation sociale se double dans ce cas d’une lutte de libération nationale.

Une partie de l’ouvrage spécialement originale est celle consacrée au développement et à l’affirmation de la médecine occidentale en Turquie. Il faut souligner ici l’excellent article de Nuran Yldirim sur le rôle des médecins turcs dans l’acclimatation du savoir médical occidental à l’Empire ottoman. Jusque dans les années 1870, les professions médicales y sont dominées par des non-musulmans ayant étudié en Europe. Afin de former un corps médical turc, les autorités ottomanes créent des écoles de médecine (1827) et de chirurgie (1832) sur leur territoire, mais ces filières restent très occidentalisées – l’enseignement y est donné en langue étrangère, surtout en français – ce qui amène l’Etat à fonder en 1867 une Ecole civile de médecine où est introduit l’enseignement en langue turque en 1870. Il s’agit alors de former des médecins autochtones capables d’occuper les nouveaux postes professoraux et l’on envoie plusieurs jeunes médecins turcs étudier en Occident (surtout à Paris et à Genève, puis en Allemagne dès la fin du siècle). Dans les universités européennes, ces étudiants turcs développent une politique d’opposition au sultan. Après la révolution jeune-turque de 1909, de nombreux médecins formés à Genève et à Paris rentrent au pays et occupent des fonctions dirigeantes, à l’image de Cemil Topuzlu (1866–1958), chirurgien formé à Paris, premier doyen de la Faculté de médecine d’Istanbul, maire puis préfet de cette ville, et réfugié en Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, ou Akil Muhtar Özden (1877–1949), assistant du professeur Baud à la Clinique médicale de l’Hôpital cantonal de Genève, professeur à la Faculté d’Istanbul et député au Parlement turc.

En ce qui concerne plus spécialement la Suisse, relevons l’article de Hans-Lukas Kieser sur la diaspora turque en Suisse dans les années 1860–1920, centré sur les communautés établies à Genève et à Lausanne. Dans un premier temps, cette diaspora est le fruit des activistes jeunes-turcs et de divers opposants libéraux à la politique du sultan qui trouvent refuge en Suisse dès les années 1860. Elle se développe au cours des années 1890 avec l’affirmation d’une forte diaspora estudiantine à Genève, tout aussi opposée au pouvoir ottoman. Cette communauté turque est soutenue par diverses personnalités progressistes suisses comme le député socialiste genevois Jean Albert Karlen, le médecin d’origine neuchâteloise Edmond Lardy – ancien chirurgien-chef de l’Hôpital français d’Istanbul – ou le conseiller national radical bernois Albert Gobat, défenseur de la cause arménienne et futur prix Nobel de la paix. La diaspora ottomane entre dans une seconde phase durant les années 1900. Le mouvement jeune-turc se renforce et se structure, avec l’ouverture à Lausanne en 1911 d’un premier Foyer turc en Europe occidentale. La Suisse devient un lieu de repli – et de formation – pour les élites turques, dont l’importance se traduit par l’adoption par la Turquie en 1926 du code civil suisse pour son propre usage. Kieser aborde à cette occasion le rôle des juristes formés en Occident. Véritables bâtisseurs de l’Etat moderne turc, aux côtés des scientifiques dont il est question dans cet ouvrage, les juristes auraient sans doute mérité une plus grande attention dans cette histoire du savoir occidental mis au service des révolutions nationales dans l’Empire ottoman.

Citation:
Pierre-Yves Donzé: compte rendu de: Méropi Anastassiadou-Dumont (dir.): Médecins et ingénieurs ottomans à l’âge des nationalismes. Istanbul/Paris, Institut d’études anatoliennes–Maisonneuve & Larose, 2003. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 54 Nr. 4, 2004, p. 457-459.

Redaktion
Veröffentlicht am
16.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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